Du dimanche 12 novembre au dimanche 19,
J’ai lu :
Pact - Commencer à lire les 250 000 mots de Pact après avoir terminé Worm, le roman-behemoth précédent de Wildbow, était inévitable… J’ai mis cette fois-ci un peu moins de temps à traverser cette histoire d’héritage maudit et de magie qui repose essentiellement sur l’impossibilité de mentir et les marchés forcément déséquilibrés avec des puissances qui nous dépassent. La première moitié du roman est franchement passionnante, alors qu’on apprend à découvrir les forces en puissance dans le petit coin du Canada où se déroule l’action, et que le protagoniste gravit très lentement les échelons ; la suite m’a également accroché, avec un twist en milieu de parcours que je n’avais pas du tout venir et qui renverse (presque littéralement) tout ce qui a été raconté jusque là ; et puis, comme avec Worm, le dernier tiers s’accroche à des enjeux trop gros pour lui, et on finit par s’ennuyer un peu (surtout que, décidément, les scènes d’action ne sont pas le fort de Wildbow). Quand est arrivée la conclusion du récit, j’étais assez content d’en finir, mais déçu par la rapidité avec laquelle tout cela se conclut, en laissant sur le bas-côté des personnages accompagnés sur plus de 1000 pages… Une lecture seulement à moitié satisfaisante, donc. Et maintenant, quelle montagne gravir ?
Donjon clefs en main - DCM, pour les intimes, est un produit de son époque : la saga Donjon n’était alors vieille que de 4 ans et ce qui semblait très important à l’époque ne l’est plus tant aujourd’hui (coucou les capuchons) ; les auteurs n’avaient sans doute pas entendu parler des quelques jeux de rôle alternatifs qui se débarrassaient des horribles systèmes trop lourdauds (tu me diras, ils n’en ont sans doute toujours pas entendu parler aujourd’hui) ; bref, DCM est fortement dater et il est à parier qu’une édition 2023 changerait beaucoup de choses. Pourtant, tout n’est pas y jeter (seulement et principalement son système à base de pourcentages qui ne sert à rien) : on a une échelle de difficulté simple à comprendre et à utiliser, une création de personnage à trous qui est très proche de ce que j’ai pu voir dans des jeux récents de copaines, et une souplesse dans ce qu’il est possible de jouer qui est enthousiasmante. Cet équilibre entre vieillerie et petits ajouts originaux ne fonctionne pas tout à fait, cependant, surtout qu’il n’est qu’à peine question de jouer entre les différentes époques de la saga, alors que c’est pour moi l’un des points essentiels !
Perils & Pathways - Tu le sais, je me tiens assez loin de la fantasy en général et des donjons en particulier, mais ça ne m’empêche pas de me pencher sur ce qui en fait le sel, surtout quand c’est traité de façon originale : par exemple ce Perils & Pathways, jeu à deux dans lequel un aventurier explore un labyrinthe fait de cartes à jouer, en choisissant à chaque fois entre deux chemins possibles. Parfois cela mènera à de bonnes surprises, parfois à de mauvaises, jusqu’à l’inévitable confrontation avec le boss de fin… Le jeu est très malin et propose dans un format micro une très chouette expérience de jeu, qu’on pourrait d’ailleurs imaginer être déclinée dans d’autres décors, avec d’autres périls potentiels… Qu’est-ce qu’on attend ?
What we thought we knew - J’ai déjà évoqué ici, encore et encore, des jeux Deux Étés-core qui reprenaient (sans le savoir, évidemment) son principe de naviguer entre plusieurs époques, ou de se perdre dans la nostalgie d’une vie passée. WWTWK est une entrée de plus dans cette longue liste, mais avec sa petite particularité qui fait la différence : dans ce groupe d'ami·e·s qui vont (peut-être littéralement) explorer à nouveau leurs souvenirs de jeunesse, un·e des membres n’a rien à faire là : doppelgänger voleur de souvenirs, acteur engagé pour l’occasion, étude scientifique sur les faux souvenirs, tout est envisageable… Comme c’est un jeu très court, WWTWK manque peut-être un tout petit peu de chair pour vraiment porter ce génial concept, mais c’est le genre d’idée qui donne très, très envie d’essayer…
Letters From the Liberty Motel - Je t’ai déjà dit, je crois, que je guettais avec attention les créations d’Adam Vass ; je t’ai déjà dit, également, que je réfléchissais à mes heures perdues à une version solo de l’Hôtel du Lion Rouge, qui demanderait d’y écrire ses pérégrinations… Alors, quand ces deux faits se superposent, pourquoi râler ? En l’occurrence, LftLM nous permet d’incarner le gardien d’un motel creepy qui, souvent, trouve dans les chambres qu'iel vient nettoyer des choses qui n’auraient pas dû y être. On est donc dans une vibe assez différente de mon propre jeu, mais avec des choses intéressantes au niveau de l’écriture, puisque Vass nous propose aussi bien d’écrire des lettres que des cartes postales, des recettes, et pourquoi pas des rituels démoniaques, en épousant le point de vue des différents clients des lieux, ou de ce pauvre gardien qui finira bien par fuir, s’il accorde quelque valeur à son âme…
J’ai vu :
The Queen - Je ne connais absolument rien à l’histoire du drag dans le monde, aussi ce documentaire était-il bienvenu, en offrant un aperçu de ce à quoi tout cela pouvait ressembler en 1967 : en l’occurrence (et sans que je sache à quel point c’était la norme) un concours tout à fait calqué sur ceux des miss avec tout ce que cela implique. On suit donc les candidat·e·s en train de se maquiller et se préparer dans les chambres exiguës d’un hôtel un rien miteux, puis défiler avec plus ou moins de grâce, avec ou sans maillot de bain, face à un public ma foi bien présent… Et puis, comme dans les concours de miss, finissent par resurgir les ressentiments, les reproches, les déceptions. Finalement, notre époque n’a rien inventé de tout cela…
Marie-Antoinette - La soif de Camille pour davantage de fils en costume nous a fait revoir ce film de Sofia Coppola que, je dois bien l’avouer, j’avais traité avec pas mal de dédain à l’époque de sa sortie. Le revoir tant de temps après, plus âgé et étant passé par la parentalité, me pousse à le considérer un peu différemment : bien sûr, esthétiquement c’est toujours aussi bien fichu, mais surtout j’avais manqué à l’époque à quel point Marie-Antoinette est présentée comme l’incarnation d’une figure féminine impossible, qu’on isole de tout avant de le lui reprocher, à qui est mise sur les épaules un échec de procréation dont elle n’est pas responsable et la transgression de codes qu’on ne lui a jamais appris. Ça rend son personnage (car cela ne reste qu’une construction fictionnelle) bien moins détestable, et explique mieux sa place dans la filmographie de Coppola, qui a beaucoup tourné autour de ces sujets-là…
Bee and Puppycat: Lazy in Space - Moi qui suis amateur de choses étranges, je ne pouvais pas mieux tomber avec cette série d’animation d’une ancienne d’Adventure Time (Natasha Allegri, la créatrice des personnages de Fionna et Cake), remake/reboot/rewhatever d’une première version diffusée d’abord sur YouTube et étendue ici d’une heure à 8. Cet étirement mène, sans surprise, à un rythme plutôt lent, avec de nombreux épisodes suivant la vie de Bee, de son chat/compagnon/collègue de boulot/whatever Puppycat, et des habitants tout aussi excentriques vivant sur la même île qu’eux : on saute d’un personnage à l’autre, on explore de petites tranches de vie entrecoupées de petits moments d’aventure, bref on y va relax. Tellement relax que j’ai eu du mal à pousser au-delà des premiers épisodes… J’ai bien fait de persévérer : dans son dernier tiers, la série prend de la vitesse, les intrigues se croisent et se font plus compréhensibles, jusqu’à un climax dans lequel beaucoup de choses sont révélées (les signes avant-coureurs s’avérant avoir été sous notre nez depuis le départ) et beaucoup de choses sont secouées, sans doute dans l’optique d’une éventuelle saison 2. Moi qui partais en traînant les pieds, j’ai à présent hâte de voir la suite !
J’ai joué à :
Trash Quest - En quête d’un trou normand entre les deux derniers gros jeux dans lesquels je me suis lancé et ma prochaine plongée ludique, j’ai avalé cette semaine ce petit Metroidvania très sympathique ! C’est de la plate-forme avec améliorations progressives, dans le plus pur respect du genre, avec des passages vraiment pas faciles et des boss plutôt ardus, le tout terminé en quelques heures à peine (il faut dire qu’une fois que j’ai compris que le jeu était doté d’une carte, après avoir exploré 75% de son contenu, les choses sont devenues bien plus faciles) ; bref, exactement ce que j’étais venu chercher, sans fausse promesse ni déception !
J’ai écouté :
Buck 65, Weirdo Magnet - Changement de pseudonyme, pas de programme : pendant toute la première cassette de Weirdo Magnet, Buck 65 reste sur les mêmes sujets que lorsqu’il se faisait appeler Stinkin’ Rich, à savoir les meufs (un titre des plus gênants retrace tout un coup du soir, de la séduction à l’orgasme sur bande, gloups), le fait d’être le meilleur rappeur (on retrouve quelques titres de Game Tight), une espèce de fausse image de rappeur à peine écornée par des sons plus intéressants qu’avant, qui tentent en tout cas de nouvelles trajectoires : des boucles intrigantes, un medley assez navrant de mélodies des Beatles, une piste sur l’amour de Terfry pour Kiss (qui sera reprise sur l’album Synesthesia)… Mais on va pas se mentir, tout ça n’est pas foufou. Et puis arrive la 2e cassette et les choses deviennent plus intéressantes : un hymne au hip-hop qui sera repris, lui aussi, bien plus tard ; une vignette de l’enfance de Terfry ; et surtout, la trilogie “Wildlife” qui nous laisse entrevoir le talent de Buck 65 pour les chansons-histoires, qui plantent un décor et y déploient une atmosphère étrange en l’espace de quelques minutes. On a là la pierre fondatrice de toute la discographie à venir : pour preuve, toutes ces chansons sont rescapées d’un projet intitulé Year Zero qui n’a jamais tout à fait vu le jour, et seront revisitées en 2002 avec un drôle de projet. La version 2002 de Weirdo Magnet me plaît davantage : c’est une sorte de remake, avec un Buck 65 bien plus à l’aise avec son flow et doté de cette fameuse voix rocailleuse qui va l’accompagner si longtemps. Ce sont les mêmes beats et boucles, parfois les mêmes paroles, mais le tout est plus propre et maîtrisé (et incluant le fabuleux “Kenny’s Theme”, titre des Sebutones perdu dans ce fatras, ainsi qu’une nouvelle version de “You Know The Science” qui s’avère être une formule mathématique fonctionnelle). Mais ne nous avançons pas trop : pour le moment, nous sommes en 1996 et Terfry ne va pas s’arrêter avec Weirdo Magnet : la semaine prochaine, on causera de Language Arts, enregistré la même année.
L’arrière-queer de Milouch :
Auto Uchronia - Fugue en Zut mineur - Je ne sais pas si j'étais vraiment prête pour Auto-Uchronia, le dernier livre de Francis Berthelot. C'est un des rares bouquins que j'ai lus d'une traite, en un seul jour, tellement la projection était forte. Francis Berthelot y raconte d'abord son enfance, celle d'un garçon de la bourgeoisie, brillant, bien élevé mais déjà au prise avec des questions existentielles dont une des plus importantes : comment vivre son homosexualité dans le monde hétéronormé des années 60. Au milieu du livre, à la faveur d'une rencontre, le récit bascule de l'autobiographie au rêve biographique et à ce qu'aurait pu être la vie de Berthelot si il avait pris la décision de fuir, se libérer de sa famille et de suivre ses envies d'écriture et d'amour. C'est un livre qui frappe très fort des thèmes que j'ai déjà évoqué ici : la famille, la vie queer, l'existence aux autres… Mais ici le texte a encore plus résonné pour moi que de nombreuses fois. Question de contexte, question de récit mais aussi et bien sûr question de style. Celui de Berthelot est clair, lumineux, reprenant beaucoup du roman d'apprentissage. C'est un livre que je conseille plus que de raison. De par la facilité avec laquelle on peut se projeter dans son texte mais aussi pour l'optimisme qui en ressort.
Et toi :
Ben : In the Court of the Crimson King: King Crimson at 50 - Évidemment que je n'allais pas rater un documentaire sur King Crimson. Mais je ne m'attendais pas du tout à ce documentaire là. Attention, je précise tout de suite que je l'ai trouvé fantastique. Mais il est possible qu'il soit jusqu'à un certain point accidentellement fantastique. Qu'est-ce que je veux dire par là ? Je suis obligé de spéculer un peu, mais mon impression c'est que le réalisateur Toby Amies entreprend de faire ce documentaire de bonne foi, avec la bénédiction de Robert Fripp (Fripp est un des co-fondateurs et le seul membre constant du groupe au fil de ses 50 ans d'existence.) Et pourtant dès le départ, Fripp lui sabote le travail, interrompt des interviews avec les autres musiciens. Ce qui émerge est une bizarre dualité entre d'une part Fripp qui souhaite sincèrement que ce que King Crimson est réellement soit révélé, mais en même temps, qu'il n'aime pas ce que cette histoire raconte. Il y a beaucoup d'amertume autour de King Crimson, et pas mal en direction de Fripp lui-même. De nombreux ex-membres du groupe sont interviewés et la plupart sont amers sur leur expérience et en même temps ont l'impression d'avoir trahi Fripp. Une autre dimension du film vient de Bill Rieflin, un musicien sympa et facile d'accès qui semble être l'inverse parfait de Fripp mais dont Fripp dit qu'il est son ami le plus proche. Rieflin a un cancer du côlon de stade 4. Il sait qu'il est en train de mourir, mais il est toujours en tournée avec Crimson parce que, dit-il, il a très peu de temps restant, et il n'y a rien qu'il voudrait faire de ce temps plus que ça. D'une certaine manière, Rieflin est une métaphore accidentelle de ce qu'est King Crimson. Ils sont en tournée après 50 ans d'existence, ils jouent peut-être le mieux qu'ils aient jamais joué, mais il n'y a rien de neuf. Ils revisitent leur ancien catalogue, pour le plus grand plaisir du public. Pourtant, comme Adrian Belew (ancien guitariste et chanteur du groupe) l'exprime amèrement quand il est interrogé, la raison d'être de King Crimson a toujours été de constamment se réinventer. Où est cette raison d'être maintenant ? Au fond, le thème sous-jacent de tout le documentaire, ce sont les sacrifices que les musiciens sont prêts à faire au nom de la Musique. Pour Fripp, absolument rien ne peut se mettre en travers de la musique, et c'est pour ça que tant de gens considèrent qu'il est une personne avec qui il est odieux de travailler. Rieflin, à sa manière, exprime la même chose pour lui-même. Ce film est un regard fascinant sur un groupe fascinant, et le plus dingue de tout ça c'est que vous n'avez même pas besoin de connaître ou d'apprécier la musique de King Crimson pour être fasciné par ce film. C'est un film sur des humains qui font de la Musique.
Et toi, qu’as-tu compoté cette semaine ?
Des bises
et peut-être à dimanche prochain !