Du dimanche 14 mai au dimanche 21,
J’ai lu :
Trip to Skye - Il est vrai que je n’ai plus trop l’habitude de me farcir de ces jeux mainstream qui font plusieurs centaines de pages et proposent un univers ultra-détaillé dans lequel on peut balader ses joueurs presque comme s’il s’agissait d’un paysage de jeu vidéo. C’est l’impression extérieure que me faisait le dernier jeu de Romaric Briand, mais je constate qu’à la lecture de ce premier volume les choses sont un peu plus subtiles… Certes, un gros deuxième tome s’annonce comme révélateur de tous les secrets du jeu, mais en l’état on pourrait saisir ce Trip to Skye et se lancer bille en tête dans ce paysage fait d’îles volantes et de démons (les PJ) y évoluant incognito au fil d’aventures de capes et d’épées… L’univers est séduisant et porté par un système assez malin qui vient quantifier numériquement chaque obstacle faisant face aux PJ, d’une façon suffisamment souple pour pouvoir l’utiliser en presque toutes circonstances. Certes bis, le ton du bouquin est un rien sentencieux par moments et je n’adhère pas totalement à sa vision théorique des choses, mais on s’en fiche un peu car Trip to Skye est une proposition très convaincante en l’état, c’est-à-dire à la moitié de ma lecture !
Lou & Morgan - Comme le paragraphe précédent te l’a peut-être indiqué, je ne suis pas très friand de théorie en jeu de rôle ; je crois d’ailleurs que j’ai suffisamment avalé de théorie dans une de mes vies précédentes pour en être vacciné tout court. Mais Lou & Morgan, ce n’est pas de la théorie ; ce sont des nano-jeux, à la frontière de ce qui peut être considéré un jeu (et pas si loin, en ce sens, de WarioWare ?) conçus non pas pour être joués en tant que tel mais pour interroger la définition d’un jeu de rôle et ses limites. Ça en fait un objet expérimentalement expérimental, plutôt plaisant à lire comme exercice intellectuel et qui se paie même le luxe de contenir quelques concepts de jeux franchement solides (comme « Un bon chien » qui m’évoque l’antique jeu vidéo Sleepwalker). Une lecture des plus stimulantes, donc !
AORI - Ce qui m’a d’abord frappé avec la dernière production de Gaël Sacré c’est l’aspect sacrément léché du jeu : ça fait plaisir de voir un auteur de jeu de rôle indépendant se donner autant de mal sur l’aspect visuel de son jeu, quelque chose qui est à mon sens un peu trop négligé par rapport au fond, parfois. Le fond est également au rendez-vous ici avec un jeu qui m’a propulsé tout droit dans une ambiance mystique me rappelant férocement la chanson “Blackstar” de Bowie, avec un gameplay que les fans de Dialect ne renieront pas puisqu’une bonne partie du jeu repose sur le fait que la communication, dans AORI, se fait en associant des mots au lieu de former des phrases complètes (choix curieux, soit dit en passant, pour un jeu pensé principalement pour se jouer seul…). Sur le reste, AORI reprend le bon vieux schéma du voyage initiatique, qui fonctionne toujours aussi bien ; c’est un jeu vraiment plaisant à lire, et sans doute autant à jouer !
À la ligne - Voici une superbe découverte que Camille m’a mise entre les mains, et bien lui en a pris : je ne suis pas du tout branché récit ouvrier et À la ligne m’a mis une bonne claque. Au long de phrases tranchées, qu’on sent portées tout au long de la journée avant d’être posées, et sans jamais de point (car comme tout travail, l’écriture n’a jamais vraiment de fin), Joseph Ponthus nous fait ressentir le monde ouvrier dans tout ce qu’il a de dur, d’injuste, d’horrible, mais aussi de simple, de beau, de fraternel. Le quotidien n’est ici jamais évacué mais il arrive qu’il y perce une certaine poésie qui témoigne de l’engagement de Ponthus à la fois envers son sujet et son traitement, pas comme un écrivain qui se travestirait en ouvrier le temps d’un livre mais bien comme quelqu’un qui est les deux à la fois. Une lecture que j’oserais qualifier d’indispensable, et une grande tristesse qu’après un tel livre, à l’aube d’une œuvre qui aurait sans nul doute été superbe, Ponthus soit soudainement décédé.
Wizard Springs - Les jeux de rôles courts continueront d’avoir ma préférence, je crois, pour longtemps : exit les passages trop pompeux, adieu les systèmes trop lourds et empâtés de réflexes mainstream, en une page on tranche dans le vif, on propose une idée tirée juste ce qu’il faut et basta, avec parfois une élégance que je ne suis plus certain d’avoir si longtemps après mes quelques essais en la matière. Ainsi de Wizard Springs qui allie un thème fort et une belle mécanique : le thème, c’est une convention de prestidigitateurs, un peu avant la fin du monde, alors qu’on est les seuls à savoir y faire de la vraie magie (ça te rappelle quelque chose ?) ; la mécanique, c’est un jeu d’équilibre où trop faire de magie va nous assécher petit à petit dans les domaines profanes, en espérant que ça n’arrive pas trop tard… Encore une réussite du format court, donc, en attendant la prochaine !
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Cités abîmées, version numérique - Mais oui, je t’ai déjà parlé de mon dernier jeu de rôle (plus pour longtemps) sorti chez Dystopia à l’automne dernier ; mais oui, tu l’as déjà lu et tu en as parlé à toutes tes copaines, et tu gardes encore le souvenir de l’excellente partie que tu en as faite. Mais peut-être as-tu des ami·e·s qui n’aiment pas les livres imprimés et qui préfèrent le numérique ? Ça tombe bien, Dystopia a pensé à toi et à elleux, qui peuvent désormais acheter le jeu en version numérique et à prix tout à fait modique ! Il n’y a donc plus aucune raison de ne pas explorer les Cités abîmées…
J’ai vu :
Interview with the Vampire, saison 1 - Peut-être à cause de ma lecture de Vampire 5e plus tôt dans l’année, j’étais assez curieux de voir ce que pouvait donner une adaptation télévisuelle d’Interview with the Vampire, livre d’Ann Rice que je n’ai pas lu et qui avait donné un film iconique de ma jeunesse mais qui a très certainement assez mal vieilli. Je gardais le souvenir de quelque chose de très emo goth, ce qui est assez logique pour une fiction tournant autour de vampires modernes… et c’est exactement ça, mais avec trois aspects remarquables qui font de la série quelque chose de très plaisant. D’abord, et contrairement à l’adaptation en film, ici plusieurs des protagonistes sont créoles au lieu d’être blancs : dans un récit qui se passe au début du 20e siècle en Louisiane, c’est loin d’être anodin, et la question de la race, ainsi que celle de l’asservissement à un maître, est posée frontalement. Ensuite, l’entretien auquel nous assistons est, dans la fiction, le 2e : cela amène tout un tas de commentaires sur les souvenirs racontés de façon contradictoires, comment on peut déformer le récit du passé avec le temps qui passe et les émotions qui changent, et comment Louis le vampire n’est au fond rien de plus qu’un narrateur non fiable. Enfin, Louis et Lestat ont une relation non seulement de confrères vampires mais bel et bien d’amants, ce qui est là aussi fortement mis en avant et donne une coloration queer très pertinente à la série. Avec ces trois aspects mis bout à bout, j’ai apprécié la série bien plus que ce que j’aurais pensé de prime abord, et après le cliffhanger de fin de saison, j’ai très hâte de voir la suite, qui s’annonce plus audacieuse encore…
To Sleep so as to Dream - L’analogie entre le cinéma et le rêve n’est pas neuve, et les récits de détective pullulent en film, il y a même un film japonais dont le titre m’échappe dont j’ai déjà parlé au temps de la confiture qui cumule ces deux aspects. To Sleep so as to Dream est donc une variation sur des thèmes bien connus, mais avec une maestria bien à lui : un film des années 80 qui se présente comme un faux film muet (des bruitages, des bouts de dialogue et des chansons surnagent dans son océan de silence) dans lequel un duo de détectives mi-comique, mi-surréaliste se met à la poursuite de dangereux criminels ayant kidnappé une riche héritière, et qui finissent bien évidemment par découvrir une situation complètement (im)prévisible, bien loin de leur objectif de départ. On est ici dans la bizarrerie filmique, catégorie atmosphère ouateuse, qui se laisse regarder comme dans un état de demi-sommeil vraiment plaisant.
J’ai joué à :
Splitto - Le week-end dernier était l’occasion de jouer à plein de nouveaux jeux de société, et en découvrir quelques-uns qui ont retenu mon attention, Splitto en premier ! Les mécaniques de base du jeu ont déjà été croisées ailleurs : poser des cartes, essayer de compléter des objectifs en terme de couleur ou de valeur… avec deux détails qui font la différence : c’est un jeu par équipe, dans lequel cartes et objectifs sont partagés, au choix, avec son voisin de gauche ou de droite. Au fil du jeu, on va donc décider quel côté on favorise, sachant qu’idéalement il faudrait faire progresser les deux à la fois… Bref, c’est tout bête mais ça fonctionne très bien !
Fluxx - Le deuxième jeu (re)découvert, c’est Fluxx, dont le principe de base est que tout le jeu est en constante mutation, qu’il s’agisse des façons de jouer ou de gagner, un peu comme un certain monastère de ma connaissance. Le résultat c’est que les parties ne sont jamais semblables et finissent souvent par surprise, même si amasser un maximum de cartes semble une stratégie fort valide ! En tous les cas, un jeu méta où d’un seul coup il faut piocher 12 cartes pour en rejeter 20 tout en espérant que l’une d’entre elles est un gâteau, je ne peux que valider…
J’ai écouté :
Les Innocents, s/t - En 1999, Les Innocents sortaient leur quatrième album et ça sonnait comme une conclusion ; il y aurait ensuite les albums solo impeccables de JP Nataf (Plus de sucre est un chef d’œuvre, je t’en parlerai peut-être un jour) et une réunion du groupe 16 ans plus tard, mais en attendant, il s’agissait surtout de composer une suite à Post-partum, d’où était sorti le tube « Colore » qui avait fait rentrer le groupe dans la catégorie des stars de la pop française. C’était une position qui ne leur ressemblait pas et qui a sans doute poussé au split, tant la pop des Innocents est arrosée de mélodies britanniques de la seconde moitié du 20e siècle ; quelque chose de délicat, plein d’harmonies et de paroles vaguement obscures, des dizaines de trouvailles à chaque piste et un disque avec deux ambiances soigneusement alternées, d’un Beatlesesque « Une vie moins ordinaire » au refrain entêtant de « Fanfare ». Un disque rare et précieux, qui m’avait attiré à l’époque via son étrange pochette et dont je continue d’aimer la douce beauté aujourd’hui.
Et toi :
Cédric : Je regarde en ce moment Mrs. Davis, une série télévisée dans laquelle Betty Gilpin (que j'avais découvert en Lady Liberty dans Glow) incarne sœur Simone, une nonne qui déteste les prestidigitateurs et qui a une rancœur particulière envers Mrs. Davis, une IA... intrusive. Je n'en dis volontairement pas plus sur le pitch de la série car c'est un des gros plaisirs de cette histoire que découvrir les multiples couches qui composent l'intrigue farfelue. J'ai vécu chaque épisode comme un rêve éveillé : il y avait bien une cohérence globale, mais à chaque fois je ne sais pas où la narration va me mener. Il y a des twists, de l'humour, des flashbacks, c'est gentiment barré... Le tout est scénarisé par Tara Hernandez (The Big Bang Theory) et Damon Lindelof (Lost). Bref, je critique souvent la production télé qui se révèle trop fréquemment prévisible, mais là on est sur un projet vraiment atypique qui part fréquemment en dérapage contrôlé. Il y a des idées à la pelle à recycler en JdR en plus du plaisir simple de se faire mener par le bout du nez par une fiction de qualité.
Milouch : J’ai écouté Les Égarés de Peirani, Parisien, Sissoko et Segal. Je suis une très grande fan du duo Peirani, Parisien. Leur titre “Hysm” fait d'ailleurs partie des musiques que je mets dès que je veux jouer dans une ambiance un peu onirique. Alors quand j'ai appris qu'ils avaient sortis un album avec le duo Sissoko Segal qui ont su méler Kora et violoncelle avec brio, j'étais hyper impatiente. L'album est très agréable, un peu vaporeux. Le mélange des différentes influences marche très bien notamment dans une très belle version (si ce n'est la meilleure) du classique : “Esperanza”.
Et toi, qu’as-tu compoté cette semaine ?
Des bises
et peut-être à dimanche prochain !